Novembre 2008 -

Continuité ou rupture

Le CN du PCF du 19 novembre promettait d'être houleux, il fut ordinaire. Comme si la direction du PCF n'arrivait pas à trouver la voie entre le nécessaire débat sur les options de continuation ou de rupture en présence et le contournement, confortable mais dangereux, de ces mêmes questions structurantes.

Ce Conseil national avait lieu après le vote des militants sur le projet de base dite "commune", dont il fut rappelé par certains intervenants qu'elle n'avait été votée que par 16,3% des 134 000 adhérents et 27,8 % des inscrits, et que près de 3 communistes sur 4 à jour de leur cotisation n'avaient donc pas soutenu. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au sein du Conseil national, les lectures de cette base "commune" votée par 22 000 communistes sont très différentes, comme en témoigne le texte "Pour aller au bout des choix de la base commune et nommer clairement ce que nous voulons" signé, après le vote des militants, par 18 membres du Conseil national (dont 11 membres du Collège exécutif).

Le rapport, lui aussi ordinaire, de Jean-Louis Le Moing nous indiqua ce qu'il faudrait faire face à la crise financière du capitalisme qui va créer 20 millions de chômeurs dans le monde (dont 350 000 en France), crise dont il nous fut dit que nous ne l'avions pas prévue, qu'elle n'est pas que financière et contre laquelle il faut se battre... Jean-Marc Coppola, actuel secrétaire fédéral des Bouches du Rhône, monta d'emblée au créneau pour défendre des transformations du PCF ("la mondialité, "l'éco-progrès", "le nom du PCF") que le texte susmentionné qu'il avait signé appelait, selon lui, de ses v½ux. Il fut aussitôt renvoyé dans les cordes par le courant orthodoxe et... Marie-George Buffet.

La rupture fut néanmoins un fil rouge de nombreuses interventions, comme quoi personne ne se réclame officiellement de l'immobilisme. Même Jean-Jacques Karman a appelé à "révolutionner" la base "commune." La question de la rupture a été traitée suivant les un-e-s ou les autres, soit comme un alibi pour ne rien changer, soit comme un ancrage en vue de rénover, de manière plus ou moins cosmétique, les choses de l'intérieur, soit comme une conviction profonde qu'il faut une rupture franche avec l'existant (Chantal Delmas, Pierre Zarka, Bernard Calabuig, Roger Martelli, Dominique Grador...). Nicolas Marchand, citant Kafka, a, lui, assumé son rejet de toute métamorphose du PCF.

Il fallut attendre l'après-midi pour respirer un peu avec la confirmation du projet de constituer un front large pour les élections européennes avec notamment à cette étape, le PdG (Parti de Gauche), nouveau venu créé par Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez. Francis Wurtz a précisé ses propositions en la matière et évoqué l'ensemble des premiers contacts positifs noués en ce sens.

Voilà donc que la stratégie pour les élections européennes s'annonce de fait en contradiction avec le choix d'un congrès de fermeture concernant le PCF lui-même. Cette contradiction, appelée "schizo-stratégie" par Gilles Alfonsi, est telle qu'Olivier Dartigolles est intervenu pour expliquer à la fois qu'un tel front pour les Européennes ne signifiait pas "faire une nouvelle force politique" mais qu'il ne faudrait pas en même temps "donner l'impression que le parti ne change pas". C'est bien là le problème : comment le PCF pourrait rester immobile du point de vue de l'organisation alors que se profile une force politique nouvelle et pluraliste en vue de l'enjeu européen ? Si l'on peut simultanément travailler l'identité communiste et le rassemblement - ce que nous sommes quelques-uns à promouvoir depuis des années - , ce grand écart signifie que le parti fonctionne d'abord comme un système auto-reproductible en vue d'une prise de pouvoir, et non comme un outil politique pour que le peuple se transforme en pouvoir.

Les communistes unitaires du CN et plusieurs autres camarades ont insisté sur les conditions de réussite de la démarche pour les élections européennes, en particulier la co-élaboration avec d'autres (courant Unir de la LCR, Appel Politis, collectifs...) et sur les conditions pour déclencher et réussir une dynamique unitaire et populaire, au-delà d'un duo, voire d'un cartel d'organisations.

Le CN s'est terminé sur le rapport de Bob Injey sur les innovations à venir dans le PCF, que nous sommes nombreux à n'avoir pu identifier. Prévoir que chaque membre du futur Conseil national doive suivre le développement du parti dans une entreprise faisait partie de ces propositions récurrentes évacuant des questions de fond sur le communisme du 21e siècle (sectorisation des questions, mondialisation de l'alternative...) comme sur l'outil (décisions centralisées, fonctionnement pyramidal et lourd, cumul des mandats, besoin de pluralisme, circulation et concentration du pouvoir...).

Comme signe tangible de changement à l'extérieur, des camarades de la Fédération de Paris (Véronique Sandoval, Martine Durlach) ont demandé le départ de Marie-George Buffet. Rappelons que le CN précédent s'était, lui, terminé sur une intervention de Marie-George Buffet refroidissant les ardeurs des "poulains" (sic), candidats plus ou moins déclarés à sa succession, et courant dans des "écuries" (resic).Cette sortie de MGB, qui ne visait pas les communistes unitaires du Conseil national hors de ces jeux florentins, reflétait une tension à son comble au sein du noyau dirigeant.

Plus que jamais, ce Conseil national a montré qu'existe un "bloc de continuation" et un "bloc de transformation", sans qu'on sache à ce stade comment la question de la direction pourrait être tranchée... dans moins de trois semaines.

Philippe Stierlin