Titre: communisme en mouvement

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14 Avril 2010 :

Communistes

Roger Martelli et Lucien Sève

Cela fait un quart de siècle que nous affirmons, l'un et l'autre, que le communisme politique ne retrouvera pas son allant sans une subversion radicale de ses contenus et de ses formes. En juin 1984, l'un d'entre nous écrivait, dans l'hebdomadaire Révolution, que le déclin électoral amorcé en 1981 exprimait "la fin d'une longue phase, l'inadaptation de toute une démarche face aux conditions nouvelles de la société française". L'autre exprimait au même moment, devant le Comité central du PCF, la nécessité de "mettre à l'ordre du jour quelque chose comme une refondation historique du parti".

Ce parti pris communiste et refondateur (deux termes indissociables à nos yeux) a été et demeure le ressort de notre engagement. Pendant un quart de siècle, nous l'avons assumé au sein du Parti communiste français. Nous l'avons fait pour deux raisons. Tout d'abord, parce que le PCF représentait encore la plus forte concentration de communistes, et donc constituait un potentiel inestimable de forces aspirant au dépassement de l'ordre multiséculaire du capital. Ensuite, parce que cette organisation nous paraissait historiquement double : à la fois pénalisée par la rigidité de son moule originel (un bolchevisme "stalinisé") et entretenant, en France, un rapport d'une richesse incomparable avec la réalité sociopolitique et culturelle. À plusieurs reprises, entre le milieu des années trente et celui des années soixante-dix, ce rapport au réel avait permis au PCF de bouger et même d'innover.

Quand le mouvement des "refondateurs" s'est déployé, en 1989, nous savions son combat difficile ; pour les raisons évoquées à l'instant, nous le jugions nécessaire et possible. Le pari était risqué, mais raisonnable. Nous n'en sommes plus là aujourd'hui. Avec l'affaiblissement du PCF, le centre de gravité du communisme s'est déplacé : le plus grand nombre des communistes n'est plus dans les rangs du PCF, irrémédiablement. Pire, de recul en recul, ce parti a perdu le rapport à la réalité et la vitalité de pensée qui faisaient sa force. Faute de cette source de vie, ne reste que la pesanteur d'un appareil qui finit par considérer que sa propre survie l'emporte sur ses finalités. L'outil théorique d'émancipation est ainsi devenu une machine à distribuer de minuscules pouvoirs ; le lieu théorique de convergence des communistes est devenu une machine à écarter celles et ceux qui ne se contentent pas de strictes logiques partisanes.

Nous nous trouvons, de ce fait, devant un triple constat de faillite.

Celui d'une impasse stratégique, d'abord. Le XXe siècle n'a pas invalidé le communisme, mais la manière dont on concevait la révolution censée y conduire. Or l'abandon de l'ancienne voie révolutionnaire n'a jamais débouché sur une nouvelle. Oscillant entre l'affirmation orgueilleuse de soi et la dépendance à l'égard de la social-démocratie, le PCF s'est noyé dans la logique politico-institutionnelle, quand la crise de cette logique oblige à la subvertir (ce qui ne signifie pas s'en abstraire...).

Celui d'une paralysie organisationnelle, ensuite. Prendre parti en communiste est une nécessité ; le faire dans la forme du modèle bolchevique est un relief du passé. Si le but n'est plus de guider le peuple pour la prise du pouvoir d'État et la "dictature du prolétariat", les formes politiques doivent se fixer pour but de stimuler l'auto-émancipation des individus et leur mise en commun. Or, de cette révolution le PCF s'est montré structurellement incapable. La direction croirait trahir à moins diriger, contrôler, écarter. D'où ce système incurable, sourd et aveugle, fonctionnant au rebours du communisme jusqu'à la caricature, la première responsable, par exemple, s'auto-désignant candidate d'union, puis choisissant son successeur.

Celui d'une intolérance au pluralisme, enfin. Rien ne changera vraiment sans les communistes, rien non plus avec eux seuls. D'où une tension qu'il faudrait savoir gérer : fermeté communiste, ouverture unitaire. Or, à ne plus pratiquer travail et débat théoriques, la direction n'est pas sortie de ce vieil autisme culturel qui manque toujours le nouveau. En matière d'union, on s'accroche à la forme cartel pour tenter vainement de reproduire une hégémonie défunte. Quant à la vie du parti, en paroles "la diversité est une richesse", en fait le désaccord reste une tare. Depuis des années la direction n'a eu qu'un souci : éliminer toute vraie alternative. Nous quittons le parti ? Mais n'est-ce pas l'appareil qui nous a, de fait, depuis longtemps mis à distance ?

Nous ne croyons plus que cette structure, malgré la valeur persistante de ses membres, dispose encore de la force propulsive qui lui permettrait de se refonder et, ce faisant, de ressourcer son utilité. Qu'elle ne puisse le faire est un drame : les fonctions historiquement assumées par le PCF ne le sont plus par lui, mais n'ont été reprises par aucune force installée, pas davantage par une social-démocratie hégémonique que par l'extrême gauche issue du trotskisme. Mais, précisément, il y a trop à faire pour que du temps soit gaspillé à poursuivre une transformation hélas irréalisable par le seul jeu interne.

Une page se tourne, et le c½ur se serre : on n'abandonne pas sans douleur ce à quoi on a voué sa vie. Mais il nous faut le quitter pour faire droit à nos raisons de vivre. Par elles, nous restons proches de ces militants convaincants, ces élus appréciés, ces intellectuels créatifs, femmes et hommes qui gardent encore leur carte tout en nous comprenant : nous aurons beaucoup à faire ensemble. Mais, pour nous, sont inoubliables aussi ces centaines de milliers de communistes qui se sont éloignés, dont tant sont restés des communistes sans parti, dont d'autres ont fini même par être dégoûtés du communisme, voire de la politique. Il faut cesser ce tarissement mortifère et, pour cela, clore pour de bon ce chapitre, face aux menaces d'une terrible crise de civilisation comme aux prémices d'une vraie solidarité humaine. Notre chant du départ a pour refrain : le communisme nous appelle.

Mais c'est là sans doute que beaucoup, partageant nos motifs, ne font pas encore leur notre décision : partir pour où, partir pour quoi ? Nous ne racontons pas d'histoires : un quart de siècle d'initiative contestataire et refondatrice a eu nombre d'effets très bénéfiques, mais, engoncé dans un passé qui se refusait désespérément à mourir, il n'a rendu possible aucune réussite organisationnelle probante.

Nous savons ce vers quoi nous voulons tendre : un communisme refondé, immergé dans un vaste mouvement radicalement critique et ouvertement alternatif. Nous ne savons pas, dans le détail, les contenus et les formes développées d'une telle ambition. Mais nous savons bien ce dont nous ne voulons pas : pas de énième groupuscule mort-né, pas d'enlisement dans une cacophonie invertébrée. Et ne rien reproduire de ce qui agonise dans la vieille maison.

Les errements et les échecs du siècle passé obligent à la saine inquiétude, au doute raisonnable ; ils aident aussi à se convaincre que formes et contenus communistes ne naîtront que si le processus qui les construit est compatible avec leurs finalités. Pas de production communiste sans processus rigoureusement communiste pour la conduire. S'il faut travailler ensemble, c'est dans trois directions : le partage réfléchi des pratiques, l'invention expérimentale d'un mode d'organisation, le pluralisme d'une vraie gauche. Si la structure existante ne permet pas ce travail, il faut s'atteler à en bâtir une nouvelle, comme en décembre 1920 les socialistes du Congrès de Tours l'ont fait en décidant d'adhérer à l'Internationale communiste de Lénine. Si le temps passé aux polémiques internes empêche de s'engager sereinement dans ce grand ½uvre, il faut se redonner du temps.

Notre colère est incommensurable devant le gâchis d'un quart de siècle. Pour n'avoir pas osé pousser en avant sa novation communiste, le PCF a stérilisé une composante majeure de l'alternative postcapitaliste. Il était une maison commune possible, dès l'instant où il acceptait d'être une copropriété. Il a par malheur choisi d'être l'espace clos d'un appareil qui a toujours prétendu savoir, par avance, ce que "voulaient les communistes" et qui, au nom de ce savoir, a accepté que des centaines de milliers de communistes soient chassés d'un parti, qui était pourtant à ce point le leur que la plupart d'entre eux n'ont jamais trouvé d'autre demeure politique d'accueil.

Que cette maison commune des communistes advienne reste notre rêve, comme l'est celui d'une communauté durable de toutes les sensibilités d'alternative. Ce but continue de donner sens à notre combat.