Titre: communisme en mouvement

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27 Mars 2010 :

Au printemps, de quoi rêvons-nous ?

Intervention au Conseil national du PCF

Un nouveau moment électoral vient d'avoir lieu. Quand à l'occasion de ces élections et à l'image des européennes, 75 % des jeunes de 18 à 25 ans, 67 % des ouvriers et employés se sont abstenus, quand les électrices/électeurs de départements populaires et emblématiques (ex : plus de 63 % en Seine Saint-Denis) ne sont pas allés voter, quand, dans les villes où le PCF représente encore une force, le nombre de voix réalisés par le Front de Gauche est dix fois moindre que celui réalisé par le seul PCF dans les années 1980, où se trouve le centre de gravité de la société ? Les femmes et les hommes de ce pays sont sur une autre planète que celle des partis politiques institués et à des années-lumière d'une étoile PCF de plus en plus éteinte. Considérons-nous oui ou non cette abstention comme un mouvement, ou bien la déplorons-nous pour passer au point suivant ? Nous citons volontiers Marx parlant du communisme non comme d'un état, mais du "mouvement réel qui abolit, etc." Or la question cardinale est de redonner du pouvoir à ceux qui s'abstiennent, ne se retrouvent pas dans le jeu actuel plutôt que celle du sauvetage de "ses" 95 élus par le PCF (dont 66 sur la base des listes du Front de Gauche)... D'autant plus que si l'on va par là, le PCF avait 185 élus en 2004 avec à l'époque une gauche à un niveau des exprimés moins élevé qu'en 2010.

Ces abstentionnistes réguliers expriment quelque chose de profond. Ils ne mettent pas seulement en cause les institutions, les partis, ou leurs idées incantatoires, y compris à gauche, mais dénoncent un système qui les dépossède de tout pouvoir sur leur vie et sur un système en crise : le capitalisme. Ce qui est fracturé, c'est une démocratie où la citoyenneté se limite à donner ou refuser sa confiance. Nous sous-estimons combien ce que nous vivons est usé et hors de toute capacité mobilisatrice comme nous sous-estimons le besoin d'invention de chemins nouveaux et durables. Or comme le chante Jean Ferrat dans Le Bilan, et je choisis à dessein cette chanson, "C'est un autre avenir qu'il faut qu'on réinvente".

Changer de centre de gravité est donc vital. Or nous n'avons pas fait bouger ce centre. Pour des raisons historiques et culturelles d'abord. Car notre Parti, comme d'autres partis communistes et d'autres partis en France, a d'abord été pensé, construit pour se substituer aux faiblesses de pensée et d'action des citoyens, en visant à organiser leur spontanéité. Il réduit culturellement les citoyens à un rôle de soutiens, de bénéficiaires des transformations, au mieux de rédacteurs de propositions. Bref le PCF sollicite des gens une subversion vis-à-vis de la société mais reproduit en son sein une subordination à l'égard de cet outil pour la changer. Au lieu de combattre ce travers générateur d'impuissance à l'occasion des régionales, le noyau dirigeant du PCF a envoyé des signes excluant ceux qui voulaient renouveler en profondeur la relation entre le mouvement social et la question politique. Le cas de l'éviction de Claire Villiers d'Alternative Citoyenne a de ce point de vue été emblématique. L'important, c'était la "juste représentation des partis politiques" sur les listes, voire des individus de l'appareil, et non de représenter les électeurs. Encore moins de donner du pouvoir à ces derniers. Ainsi le secrétaire fédéral de Paris, Patrice Bessac, a été parachuté en Seine-Saint-Denis entre les 2 tours. Ainsi, le secrétaire fédéral du PCF du Val-d'Oise, Jean-Michel Ruiz a été éliminé au profit de Francis Parny, au mépris de la souveraineté des communistes de ce département, toutes sensibilités confondues.

Pour la gauche de transformation sociale et écologique, des résultats et des expériences montrent que des démarches grand angle, courageuses, éloignant l'esprit de boutique, sans pour autant nier la nécessité de s'organiser politiquement, sont fructueuses. Y compris jusqu'au 2e tour. Mais ce qui a dominé dans de trop nombreux endroits (et de manière caricaturale et sectaire en Ile-de-France), ce sont des listes FG construites autour du duo PC-PG, avec un PCF se considérant comme le point central du rassemblement. Or nous n'avons pas montré les signes que nous voulions autre chose qu'un cartel d'organisations ; nous faisons comme si nous n'étions pas à la fin d'un cycle de représentation politique.

Par ailleurs des communistes unitaires ont été écartés de ces listes sur la base de "aucun éligible, aucune tête de liste", avec un ostracisme d'un autre âge et de la purification politique. Cette attitude participe clairement d'une volonté politique de fond : combattre à n'importe quel prix humain, éthique et politique les espaces, les creusets qui revendiquent la création d'une nouvelle force de transformation sociale, dont l'une des composantes serait communiste. Disant cela, je pense à die Linke d'Allemagne, à l'ANC, polyphonique, d'Afrique du Sud... Je comprends que l'on ne partage pas toutes et tous ici ce point de vue. Mais je trouve inacceptable, indigne, d'éliminer ceux qui le portent. Si c'est à l'image de la nouvelle société que certains veulent, il y a de quoi être inquiet. J'en ai déduit que dans la structure PCF, il n'y a plus aucune place pour une opposition critique.

Ce qui est combattu par le noyau dirigeant du PCF avec ce qu'il reste de ce Parti, c'est au fond un projet de dépassement du capitalisme croisant des cultures politiques qui se sont affrontées au 20e siècle, un projet dans lequel les partis ne disposent plus comme auparavant du monopole de la représentation politique, un projet qui associe les citoyens, engagés ici et là, dans une construction politique globale. Les régionales 2010 signent la fin du cycle initié depuis 2006. Je vis cela comme les derniers soubresauts d'un PCF qui fonctionne sur lui-même et se sclérose. La gauche de transformation sociale, celle qui souhaite une rupture avec le système libéral et non son accompagnement, est très en-deçà des potentialités et de la place qu'elle devrait occuper dans un contexte de crise sociale, écologique et démocratique sans précédent, de rapports sociaux d'une rare violence. Le PCF n'est pas en situation de répondre à un triple défi : le fond de rupture de la ligne de transformation écologique et sociale, le renouvellement du projet et de ses formes. Il n'est pas l'outil adapté pour une telle novation politique et n'est pas capable de s'auto-réformer.

Le PCF aura porté plusieurs grandes réformes au XXe siècle, ainsi que l'anticolonialisme et la lutte contre le nazisme, mais il sera passé à côté du féminisme, de l'autogestion et des nouveaux critères de gestion, des droits des minorités sexuelles, de la question européenne, de l'écologie. Cela fait beaucoup. Il passe aujourd'hui à côté de la révolution démocratique. Cela fait trop. Et c'est pour cela, qu'aujourd'hui, avec d'autres camarades, je m'en vais. Je voulais vous le dire, seul présent dans cette enceinte parmi les communistes unitaires membres du PCF. Je le fais sans amertume, avec un mélange d'amitié pour plusieurs d'entre vous et de regret pour tant de gâchis. Je pars pariant sur une audace, celle que des communistes ont eue en 1920. Je suis aussi lucide sur l'océan de travail à accomplir.

Marie-George Buffet a ouvert ce CN par une minute de silence pour Jean Ferrat. Comme je suis le dernier intervenant de cette matinée, je conclurai en pensant à notre ami disparu. En plus de m'émouvoir, Jean Ferrat m'a appris qu'on pouvait être populaire, communiste sans se résumer à cela, et ne pas être membre du PCF. Autant dire que je médite positivement cette leçon.