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26 Mars 2010 :
Que faire ? Autre chose ? Autrement ?
Introduction au débat par Gilles Alfonsi
Je vais tâcher de lancer la discussion.
Merci d'avoir répondu à l'invitation des quelques camarades qui ont posé la-les question-s que nous sommes nombreux à nous poser, je pense : Que faire de notre engagement au sein du Parti communiste ? Autre chose ? Mais alors quoi ? Autrement ? Mais alors comment ?
Nous avons voulu que cette discussion soit publique, mais bien sûr nous ne confondons pas les lieux et les thèmes de débat. L'objet de la réunion de ce soir est bien d'échanger ensemble sur l'avenir de notre engagement communiste, avec le fait nouveau, qui n'est une surprise pour personne ce soir, que nous sommes un certain nombre à décider de quitter le Parti communiste.
Beaucoup d'entre nous ont fait ou font le constat de l'échec des tentatives de refondation, de mutation ou de métamorphose du PC ; beaucoup ont le sentiment d'avoir été au bout de leurs efforts en la matière, que les évolutions depuis 2007 relèvent de logiques d'exclusion, incluant des ruptures par rapport à l'éthique politique, et beaucoup sont désireux maintenant d'agir sur d'autres bases.
Beaucoup de ses adhérents ont déjà quitté le Parti, à moins que ce soit lui qui les ait quittés (qu'on se situe sur le temps long des vagues successives de départs, sans parler des exclusions, ou qu'on se situe dans les années récentes).
D'autres entendent rester, et poursuivre le combat pour la transformation du parti, souvent en participant aux initiatives qui ont lieu par ailleurs.
Au passage, nous avons fait le constat que plus notre action se dégage des contraintes internes, au point de se mettre en situation d'extériorité par rapport au Parti, plus des unitaires se révèlent en son sein ; à l'inverse, ces énergies s'exprimaient peu précédemment, ce qui montre la persistance aujourd'hui des phénomènes d'autocensure profondément liés à la matrice de l'organisation née en 1920.
Enfin, nous sommes un certain nombre à décider maintenant de le quitter. Vous avez certainement eu l'explicitation de ses motivations par Patrick Braouezec, initiative qui, à la fois, est celle d'un individu et qui manifeste le désir commun d'un certain nombre d'entre nous, ce qui, je le précise, ne résume pas et ne synthétise pas les points de vue en présence ce soir.
Je dis plus qu'un mot sur la déchirure que représente pour beaucoup la situation actuelle où se mélange un sentiment de gâchis, d'incohérences invraisemblables, de contradictions non travaillées... Et je souligne aussi que personne n'a tort ou raison quand il prend la décision de quitter le Parti communiste, hier, aujourd'hui, demain ou de ne pas le quitter : notre problème à tous est l'utilité de notre investissement.
Il est bien difficile de transformer ces sentiments en énergie positive, et pourtant nous ne sommes vraiment pas en train d'annoncer notre "retrait de la vie politique", mais au contraire de prendre, peut-être, un nouveau départ.
Le débat porte peut-être d'abord sur le diagnostic. Je crois que nous sommes nombreux à mesurer l'enfoncement actuel dans un repli, dans des pratiques politiques indignes, avec, à la clef, le broyage de femmes et d'hommes. Il y a aussi les dérives comme celles d'André Gérin, sur le mode populiste-xénophobe.
Il y a l'incapacité à produire dans la période de crise politique et démocratique que nous vivons des actes permettant d'ouvrir une nouvelle ère dans le rapport à la politique, et donc une forme de démission. Jusqu'à la toute dernière séquence, nous avons voulu argumenter pour ouvrir des chantiers, pour des gestes qui n'ont pas été produits ou qui n'ont pas été concrétisés. En ce sens, si les désaccords d'orientation manifestés sont anciens, c'est la surdité totale érigée en qualité de direction qui a rendu les choses impossibles.
Mais, au fond, le diagnostic concerne surtout la perte de sens, l'absence d'avancées sur la conception, sur la nature et sur les formes de la politique, sur les marqueurs d'un projet d'émancipation, sur le renouvellement des pratiques, sur le dialogue avec les autres cultures militantes, sur les interconnexions entre les pensées critiques, les actions.
Le débat porte aussi nécessairement sur notre expérience, sur nos tentatives de novation, depuis parfois des décennies, qu'elles se soient appelées rénovatrices, refondatrices, unitaires... jusqu'à donner lieu à la liste alternative au dernier congrès, par exemple, avec là aussi un pluralisme assumé de points de vue.
D'un côté, nous avons pesé ces dernières années en obtenant des avancées sur les questions stratégiques : nous avons gagné la bataille sur l'enjeu de l'unité de la gauche de transformation sociale ; nous avons avancé, en tous cas auprès des militants communistes, sur la stratégie d'indépendance vis-à-vis du social-libéralisme.
D'un autre côté, ces avancées ont été à peu près systématiquement gâchées, en partie détruites par les pratiques et les réflexes d'appareil, et nous en arrivons à un Front de gauche étriqué, qui s'insère positivement dans le paysage politique mais dont la nature aujourd'hui est encore celle d'un cartel de partis-guides, là où les textes de congrès évoquent sans cesse l'appropriation par toutes et tous des savoirs et des pouvoirs, contre toutes les dépossessons. Résultat caricatural lors des élections régionales sur ce point : nous arrivons à ce que ce soit Europe Ecologie qui porte l'ouverture à la société civile quand pour notre part le Front de gauche laisse à la porte de l'institution régionale les candidats de la société civile mis en scène pendant la campagne.
Le débat porte tout autant sur le quoi faire maintenant.
Ce que nous partageons, il me semble (mais cela fait partie du débat) : la visée d'un nouveau projet d'émancipation et la perspective de la constitution d'une nouvelle force de transformation sociale et écologique. L'idée d'une force différente des partis traditionnels. A la fois pluraliste, rapprochant, métissant des courants issus de différentes sensibilités de la gauche, tout en assumant des différences qui, parfois, peuvent être fortes.
Nous savons aussi l'importance de la bataille idéologique et de la bataille des mots, notamment celle autour de la référence au communisme, ce qui ne conduit nullement à imposer quoi que ce soit à ceux qui ne s'y réfèrent pas, ou plus. De plus, si la référence au communisme est, je crois, largement partagée parmi nous, cela ne veut pas dire que son sens fasse consensus : des conceptions, des réflexions, des pratiques bien différentes existent, que nous avons besoin de discuter, de travailler, ce qui nécessite de les expliciter aujourd'hui beaucoup plus clairement que ce que nous avons fait jusqu'ici. C'est une sorte de devoir d'invention, pour des inventions que nous ne ferons pas seuls et dont nous n'aurons pas l'exclusivité, mais qui est la raison d'être d'un espace communiste.
Notre visée est large, mais nous devons être concrets, nous situer par rapport aux processus de recomposition engagés aujourd'hui, qui sont nourris par la crise existentielle des partis, vieux ou de création récente.
Mais il nous faut prendre conscience des potentialités et finalement de ce que peut être notre force. Nous ne sommes pas démunis et au contraire nous pouvons nous appuyer :
- sur la crise de légitimité du capitalisme et de la démocratie actuelle, du rapport représentant-représenté,
-sur les comportements porteurs de conceptions coopératives et égalitaires des rapports entre les personnes, pratiques et apports intellectuels qui élargissent la possibilité de nouveaux possibles,
- sur la profusion de mobilisations, qui produisent de la politique et qui posent la question d'un autre avenir,
- sur les aspirations individuelles au libre choix de sa vie, à la participation, alors que la défiance à l'égard de la politique telle qu'elle se fait, des institutions et des partis ne signifie pas du tout un désintérêt par rapport à la politique mais plutôt l'obsolescence de ses formes actuelles.
Dans ces registres-là, nous devrions nous tourner vers les forces réelles qui nourrissent et peuvent être nourris d'une visée globale de dépassement de toutes les dominations.
Alors, concrètement ? Nous avons une discussion sur les espaces politiques existants, dont aucun bien sûr ne fait l'affaire aujourd'hui, sinon, sans doute, nous ne serions pas là.
Nous sommes à l'évidence du point de vue des forces politiques dans une période transitoire où les espaces existants devraient être convaincus que leur dépassement sera nécessaire, souhaitable et positif. Et nous voyons bien que le NPA, le PG, le PC sont en crise, qu'Europe Ecologie comporte en son sein des contradictions insurmontables concernant le rapport au libéralisme et que la situation actuelle n'est guère tenable à moyen terme.
Il en est de même des communistes unitaires et de la Fédération, qui ont l'originalité d'intégrer pour eux-mêmes cette ambition de dépassement, et non d'être des petits réceptacles pour militants désoeuvrés.
Dans le même temps, ceux qui vont partir doivent-ils rajouter des espaces supplémentaires à ceux qui existent déjà ? On devrait peut-être plutôt imaginer la transformation des espaces existants, pour leur donner une autre dimension, particulièrement pour interpeller la totalité des forces susceptibles de converger dans l'élaboration d'un nouveau projet et la création d'une nouvelle force.
Dans cette salle, il y a des communistes avec des points de vue différents sur la question du départ du parti communiste. Ce n'est pas par accident, c'est un choix : nous manifestons ainsi non seulement qu'il n'y a pas de césure entre nous, mais que les enjeux que j'ai évoqués nous sont communs, que l'action que nous menons est convergente et d'ailleurs que les espaces créés hors du Parti ont comme caractéristique d'avoir rompu avec l'archaïsme d'une appartenance unique.
Un projet de texte évoquant le départ et posant quelques jalons pour la suite est mis lui aussi en discussion. Notre idée est qu'il pourrait être amendé dans les prochains jours, et rendu publique à la mi-mai environ, avec la signature de tous ceux qui auront voulu s'y joindre.
Je précise qu'il n'y a pas lieu d'opposer cette démarche avec d'autres qui verront nécessairement le jour puisqu'il y a des points de vue variés sur l'ensemble de ces sujets.
Il y a un évident besoin de bouillonnement d'idées, de textes charpentés portant sur les fondamentaux pour l'avenir et des initiatives nouvelles, en même temps que la réussite de nos initiatives suppose l'implication rapide et très élargie par rapport à ce que nous avons fait jusque là pour se donner les moyens de fonctionner, de décider, d'exister.
A vous la parole !